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Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.

Il n’aura échappé à personne que le secteur bancaire européen, avec comme proxy l’indice STOXX600 Banks constitué des 49 valeurs de la zone surperforme les Mag7 cette année. Mais c’est aussi le cas si on allonge la période aux trois dernières années ! Comment se fait-il que le symbole de la value européenne, tant décriée par les investisseurs, surclasse le gratin mondial du style croissance ? Et surtout, cette tendance est-elle soutenable ?

Pour répondre à la première question, le plus simple est encore de regarder les chiffres : au quatrième trimestre, la totalité des banques européennes ont publié des revenus supérieurs aux attentes du consensus (de 4% en moyenne). Même la Société Générale, le vilain petit canard du secteur, est en train de renaitre sous la direction de son nouveau PDG Slavomir Krupa. Celui-ci a entrepris un recentrage du groupe et une réorganisation profonde dont les premiers effets se voient au travers d’une position en capital renforcée (CET1* à 13,3% fin 2024) et d’une amélioration de la profitabilité (ROTE** > 8% cette année).

Plus généralement, c’est la fin de la politique monétaire « non conventionnelle » de la BCE qui a été un game changer. Celle-ci a eu des effets de bord délétères sur la profitabilité du secteur, comme l’écrivait très justement en 2022 l’ancien gouverneur de la Banque de France Jacques de Larosière : « des taux d’intérêts trop bas – comme ceux que nous connaissons en Europe depuis dix ans- sont en réalité extrêmement dangereux. Ils affaiblissent le système bancaire et financier ». Le retournement a été si soudain que le consensus a été obligé de revoir systématiquement ses estimations à la hausse lors des 3 dernières années.

Si on s’intéresse à la soutenabilité du phénomène, plusieurs facteurs vont continuer à jouer en faveur de ce secteur qui reste avant tout cyclique. Malgré le pessimisme ambiant, les statiques d’origination de crédit s’améliorent mois après mois en Zone Euro. Les derniers chiffres publiés par la BCE font état d’un taux de croissance de l’encours de crédit au secteur privé de 2,3% (yoy), après +2% en décembre et +1,5% en novembre. Ces chiffres sont corroborés par les perspectives de croissance des volumes présentées par les principales banques de la zone lors des publications annuelles.

L’évolution des taux directeurs de la BCE, qui sont une composante majeure de la profitabilité de l’activité de banque de réseau (via la marge d’intérêt et le cout des dépôts), joue aussi en faveur du secteur. En fin d’année dernière, le marché anticipait une baisse de plus de 100bp des taux courts en 2025. À la suite de la dernière réunion de la BCE qui s’est soldée par une baisse de 25bp, les investisseurs n’anticipent plus qu’une baisse cumulée de 75bp cette année. Ce qui revient à converger vers le milieu de la fourchette de taux neutres déterminée par les équipes de l’institution (2,25% – 1,75%).

La réglementation a été un vent de face depuis la crise financière de 2008. Mais avec les Etats-Unis qui jouent la montre pour mise en oeuvre des règles prudentielles de Bale 3, la situation est en voie de stabilisation. En effet, conscient du risque de décrochage vis-à-vis des banques américaines, plusieurs membres du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne ont appelé la commission à simplifier les règles. Cela devrait conforter les attentes de retour à l’actionnaire grâce à des dividendes généreux (6% de rendement du dividende en moyenne) et des rachats d’actions.

Enfin, le thème de la consolidation reste une « option gratuite » pour le secteur. Même si l’Europe déplore le déclassement de son industrie par rapport aux mastodontes américains que sont JPMorgan et Goldman Sachs, les gouvernements locaux sont un frein à la constitution de champions dans la zone Euro. Cela explique sans doute l’incapacité des investisseurs à valoriser de potentiels gains liés aux économies d’échelle. Mais cette nécessaire consolidation ne sera pas nécessairement crossborder à l’image de la tentative d’Unicredit sur Commerzbank. La consolidation par métier – dont Crédit Agricole s’est fait le champion avec Amundi et Caceis – ou la consolidation nationale sont d’autres voies crédibles.

Même si le secteur s’est bien comporté en bourse cette année, la comparaison du ratio P/TNAV avec le ROTE reste favorable aux valeurs européennes : 1,1x pour 14% de rentabilité des fonds propres en 2026, soit un cout du capital implicite de 12% selon les analystes d’UBS. Un niveau 15% supérieur à la période pré-covid, alors même que le ROTE moyen était 40% plus bas ! Sans surprise, l’écart de valorisation avec les pairs américains est significatif même si les différences de mix d’activités rendent la comparaison moins pertinente (1,6x pour 17%, soit un cout du capital implicite de 10,5%).

Le seul point d’attention vient du positionnement des investisseurs : le dernier sondage de Bank of America indique qu’ils sont largement surpondérés sur ce segment de la cote européenne. Mais au-delà d’un retracement technique à court terme, les chiffres montrent encore un potentiel de revalorisation de ce secteur qui sort, discrètement mais sûrement, de la case value trap

*CET1 : rapport entre les fonds propres disponibles – c’est-à-dire principalement les actions ordinaires et les bénéfices non distribués (moins d’éventuels goodwills) et les actifs totaux pondérés par le risque ;

**ROTE : ratio entre le bénéfice net d’une société et ses fonds propres tangibles.

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