Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.
Tariff man is back ! Le Président américain mérite décidément bien son surnom tant il multiplie les annonces depuis sa prise de poste, quitte à repousser ensuite certaines décisions. Cet hubris appelle à de nombreuses questions, d’ordre macroéconomique (mix inflation/croissance) et microéconomique (effet sur les chaines d’approvisionnement et les chiffres d’affaires). Mais surtout amène à s’interroger quant au endgame de cette stratégie qui, et c’est la seule certitude, fait monter drastiquement le niveau d’anxiété économique.
Au risque d’enfoncer une porte ouverte, il faut rappeler que ce qui a été qualifié par le Wall Street Journal de « plus stupide guerre commerciale de l’histoire » n’est pas un jeu à somme nulle, mais un choc exogène sur le volume des échanges et in fine sur le PIB mondial. Les investisseurs en ont bien conscience et considèrent que c’est actuellement le principal risque qui pèse sur les marchés, selon le dernier sondage de Bank of America.
Si l’on intègre dans le modèle multi-pays du Peterson Institute* les annonces récentes de Donald Trump pour le Canada, le Mexique et la Chine, les économies des deux premiers seraient évidement largement impactées (entre 1 et 2 points de PIB), mais les Etats-Unis seraient théoriquement plus pénalisés que leur grand rival asiatique. Un bel exemple de situation perdant-perdant, loin de la promesse de campagne de remplacer les impôts par des rentrées dans les caisses de l’External Revenu Services**…
Trump semble considérer les tarifs douaniers comme une boite à outils servant ses objectifs géopolitiques. Partant de cette hypothèse et en tentant de s’extraire du bruit (25% de tarifs douaniers sur toutes les importations d’acier et d’aluminium, mise en place de droits de douanes réciproques…), on peut déceler une stratégie à deux dimensions : affrontement stratégique avec la Chine et posture tactique avec les autres « partenaires » commerciaux, dont l’Europe.
L’Europe qui est « méchante » en raison de la TVA (et tant pis si ce n’est pas une taxe visant spécifiquement les Etats-Unis), semble être en haut de la liste des zones à imposer. Pour rappel, elle représente un quart des importations américaines et vend surtout des automobiles et des produits pharmaceutiques. Dans ce cas précis, les droits de douanes semblent être un outil transactionnel, peut-être inspiré de l’ouvrage rédigé par Trump en 1987 et au titre prémonitoire : « The art of the deal ».
En effet, quoi de plus logique, après avoir relancé des projets de liquéfaction de gaz dans le Golfe d’Amérique (dixit Google), que de considérer l’Europe comme le débouché naturel de ce flux de GNL. Il en va de même avec l’armement, au moment où le Secrétaire américain à la Défense appelle les européens à un objectif de dépenses dans ce domaine à hauteur de 5% du PIB.
Bien que Trump entretienne des relations « excellentes » avec son homologue chinois, l’empire du milieu reste avant tout le pays qui a le plus important excèdent commercial en ce qui concerne les biens. Et dans la course à l’IA engagée entre les deux grandes puissances, les conditions d’accès aux semi-conducteurs devraient encore être restreintes, surtout après l’épisode DeepSeek. Mais comme rien n’est jamais simple, la Chine dispose aussi d’arguments pour trouver un compromis : elle dispose d’un stock de 1000 milliards de dollars d’obligations du Trésor américain et domine l’extraction et la production de terres rares.
Lors de la conférence téléphonique des résultats trimestriels de TotalEnergies, son PDG Patrick Pouyanné a déclaré à propos du risque tarifaire : « observer, ne pas surréagir et attendre pour plus de réponses dans les 6 prochains mois ». On reconnait bien là le pragmatisme du capitaine d’industrie chevronné mais il ne faudrait pas, à force d’incertitudes, que cet attentisme ne se transforme en immobilisme généralisé. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la difficulté à lire les actions du locataire de la Maison Blanche pourrait brider l’investissement et donc la croissance potentielle.
Enfin, le comportement de la Fed sera comme d’habitude déterminant pour l’évolution des marchés. L’effet one-off des barrières douanières sur les prix ne devrait pas inciter la banque centrale américaine à revoir sa posture actuelle. En revanche, une potentielle faiblesse du marché du travail l’incitera à relâcher les conditions financières. Cette fonction de réaction devrait profiter de facto aux bons du Trésor à 10 ans indexés à l’inflation (TIPS).
Il reste donc à espérer que le consommateur américain serve de « garde-fou » dans la séquence qui vient de s’ouvrir. Celui-ci se préoccupe de plus en plus de l’impact des tarifs sur l’inflation, comme le montre le résultat de la dernière enquête de l’Université du Michigan qui fait état d’une forte hausse des attentes d’inflation à court terme. Ce mécontentement vis-à-vis de l’inflation ayant été, rappelons-le, un facteur décisif dans la victoire du candidat républicain…
* Peterson Institute : think tank privé et indépendant qui s’intéresse aux problèmes économiques internationaux.
** External Revenu Services : nouvelle agence américaine en cours de constitution dont le rôle sera de collecter les taxes douanières.