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Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.

Dans son ouvrage sur la Russie contemporaine « Le mage du Kremlin », Giuliano da Empoli écrit : « le pouvoir est comme le soleil et la mort, il ne peut se regarder en face. Surtout en Russie ». C’est peut-être pour cette raison que le Président américain a repris contact avec son homologue russe par téléphone, avant d’envoyer ses émissaires rencontrer le ministre des Affaires étrangères en terrain neutre, à Ryad.

Fidèle à son style si particulier, Donald Trump a rompu avec la méthode de son prédécesseur en court-circuitant les européens. Et non content de laisser le Président ukrainien à l’écart de sa discussion unilatérale avec la Russie, il est devenu son pire contempteur, le taxant opportunément d’impéritie.

Trump a au moins le mérite de ne pas faire de circonlocution et lui a déjà présenté l’addition. Addition dont le journal anglais The Telegraph a pu consulter le détail : les Etats-Unis demandent à l’Ukraine des droits exclusifs et à « perpétuité » sur « les ressources minérales, pétrolières et gazières, les ports et autres infrastructures ». Au total, Trump a fixé à 500 milliards de dollars le montant réclamé, à comparer avec les cinq packages d’aide validés par le Congrès d’un montant de 175 milliards de dollars dont 70 versés à des sociétés d’armement américaines…

Au-delà des négociations engagées avec l’Ukraine par le dealmaker, avec en ligne de mire un accès aux terres rares dont la Chine domine sans partage la production**, un cessez-le-feu aurait des ramifications plus larges pour l’économie européenne et les marchés de l’énergie.

L’entrevue organisée mardi 18 février à Ryad a tout simplement rassemblé les trois plus gros producteurs mondiaux de pétrole. Mais au-delà du symbole, ces trois acteurs n’ont pas grand-chose en commun : l’objectif affiché par Trump de faire baisser le prix de l’or noir est en total contradiction avec les intérêts russe et saoudien pour qui la rente pétrolière est vitale. Nous verrons lors de la prochaine réunion de l’OPEP+ si Trump est aussi persuasif qu’avec la Colombie et le Mexique. Dans le même temps, l’Agence internationale de l’énergie vient de revoir à la hausse la demande mondiale pour cette année à 104mb/j, ce qui réduit mécaniquement le surplus attendu à 0,5mb/j ainsi que la nécessité de maintien de quotas de production par le cartel.

Quant au prix du gaz, son fonctionnement est régionalisé avec historiquement de larges écarts de prix entre les zones européenne (TTF), américaine (Henry Hub) et asiatique (JKM). Les exportations de gaz russes via gazoducs qui représentaient environ un tiers de la consommation européennes ont baissé de 90% depuis le début du conflit (North Stream 1et 2 étant à l’arrêt, comme les flux passant par l’Ukraine). Même si le retour de ces volumes est économiquement justifiable pour toutes les parties, la question est d’abord d’ordre politique.

Au-delà de l’effet bénéfique d’un prix du gaz plus bas pour l’industrie et les ménages européens, un cessez-le-feu peut être considéré comme un choc de demande positif pour l’économie de la zone, via une hausse de la confiance du consommateur, une augmentation des dépenses de défense et une reconstruction du pays. A titre d’illustration, Goldman Sachs anticipe un impact sur le PIB de 0,2% dans le cas d’un cessez-le-feu limité et 0,5% en cas de paix plus durable.

Les investisseurs n’ont pas attendu longtemps pour intégrer ces potentiels effets positifs, via une compression de la prime de risque des marchés actions européens. Résultat, le secteur de la défense européenne surperforme les mag7 depuis l’investiture de Trump et les flux entrants la semaine dernière ont été les plus importants depuis février 2022 (4 milliards de dollars selon EPFR).

Mais cet ajustement est à mettre en perspective des retraits totalisant 15% des actifs des fonds investi en actions européennes depuis le début du conflit. Si le retour des flux venait à s’amplifier, les petites et moyennes capitalisations seraient probablement parmi les grands gagnants, tant ce segment de la cote a été déserté par les investisseurs au cours des dernières années…

*Make Europe Outperform Again

** La Chine dispose d’une part de marché d’au moins 95% pour les métaux suivants : Yttrium, Dyprosium, Gadolinium, Terbium et Ytterbium.

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