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Melanie Larkin, Senior Sustainability Development Manager, Pictet Group.

Du climat à la biodiversité, la résilience planétaire passe par la régénération de nos services écosystémiques. Elle jouera un rôle clé dans notre avenir. Dans cet entretien, nous revenons sur ce concept, ainsi que sur ses conséquences en matière d’investissement.

La résilience, qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce qui la différencie de la durabilité?

La durabilité désigne la capacité à répondre aux besoins contemporains sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Notre économie fonctionne en mode dégénératif: nous puisons dans les ressources terrestres sans réunir les conditions nécessaires pour que ces ressources se reconstituent. La nature a cette incroyable capacité à se rééquilibrer en permanence quand elle n’est pas perturbée, mais l’activité humaine a bouleversé ce délicat équilibre, menaçant notre survie à long terme.

C’est un peu la même chose que le corps humain, qui est lui aussi un miracle. Un mode de vie équilibré lui permet de se remettre plus rapidement des difficultés qu’un corps soumis à un stress excessif, une alimentation déséquilibrée ou un manque de sommeil. Impossible, pour le corps, d’être résilient et en bonne santé s’il souffre de carences.

Il en va de même pour la nature, et c’est ce que les scientifiques ont baptisé «services écosystémiques». Les êtres humains ne peuvent pas vivre dans le déséquilibre actuel: augmentation des températures, acidification des océans, disparition des forêts, déclin de la biodiversité… Pour parvenir à la résilience, c’est-à-dire permettre à l’écosystème de retrouver son équilibre, il faut commencer par régénérer la nature, du sol où pousse notre alimentation à l’eau, qui est à la source de toutes les formes de vie. C’est en restaurant la résilience planétaire que l’activité pourra être durable.

Chez Pictet, on utilise depuis longtemps le modèle des limites planétaires pour les stratégies qui ont un objectif environnemental. Quel est le lien avec la résilience et la régénération?

Les limites planétaires1 sont un modèle scientifique qui nous permet de savoir dans quelle mesure notre écosystème naturel s’est éloigné de l’équilibre. Il comprend neuf catégories, comme le changement climatique et la biodiversité (voir graphique 1). Certaines se trouvent encore dans l’espace de fonctionnement sécurisé, ce qui signifie que la nature réussit à se rééquilibrer et à se restaurer. D’autres en sont sorties: il faut donc une régénération des ressources pour retrouver l’espace de fonctionnement sécurisé, où la résilience est possible. En 2023, six des neuf limites planétaires étaient sorties de l’espace de fonctionnement sécurisé.

Précisons que cet espace de fonctionnement sécurisé s’applique aux êtres humains, qui ont tant besoin de la nature pour vivre. Pendant l’essentiel de son histoire, la Terre a existé dans des conditions qui n’auraient pas permis la survie de notre espèce. Et elle existera longtemps encore après notre disparition. Il est donc pertinent d’utiliser le modèle des limites planétaires (voir graphique 2) pour évaluer l’impact de nos investissements sur l’environnement, en particulier dans les domaines les plus critiques pour notre survie. Malheureusement, à l’heure actuelle, rares sont les entreprises cotées dont l’activité reste dans l’espace de fonctionnement sécurisé: il faut donc s’intéresser à d’autres classes d’actifs pour trouver des solutions d’investissement.

Pourquoi la résilience est-elle pertinente pour les investisseurs?

Mêlant enjeux sociaux, écologiques, économiques et (géo)politiques, la crise actuelle est polymorphe et pourrait faire augmenter la volatilité des rendements. Le comportement passé du marché pourrait donc devenir un indicateur de moins en moins fiable des performances futures.

Pour parvenir à la résilience, il faut commencer par régénérer la nature

De l’endroit où nous construisons à celui où pousse notre alimentation, le changement climatique va tout bouleverser. Il nous faudra donc de nouveaux modèles, capables de tenir compte des impacts négatifs (que l’on appelle aussi «externalités») et d’identifier les sources de rendement des investissements pendant cette transition vers une économie plus résiliente et plus durable.

Quels seront les effets de la transition vers une économie plus résiliente et plus durable sur l’investissement?

La transition est d’ores et déjà porteuse d’opportunités très intéressantes. De nombreuses entreprises très innovantes spécialisées dans la régénération sont en train de voir le jour à travers le monde, souvent près des centres de recherche que sont les universités (comme Tech4Regeneration) ou quand le contexte local pousse des entrepreneurs à se lancer (comme Impact Hub). Il s’agit d’opportunités d’accompagner l’essor de solutions de pointe qui promettent, du venture capital aux actions cotées, de rebattre les cartes en matière d’appétit pour le risque et de classes d’actifs.

Parallèlement, comme dans toute transition, de nouveaux risques apparaîtront, comme celui de rester investi dans le statu quo. L’existence de certains secteurs est d’ores et déjà remise en cause par le changement climatique. C’est le cas des assurances aux Etats-Unis, par exemple: certaines régions, qui ne sont pourtant pas considérées comme vulnérables aux événements météorologiques extrêmes, sont abandonnées par les compagnies d’assurance2. A l’instar de la disparition des espèces clés, cette décision peut avoir des conséquences sur des pans entiers de l’économie locale, menaçant la capacité des Américains à obtenir un prêt immobilier ou, pire encore, la solvabilité de communautés entières qui ne seront pas couvertes en cas de catastrophe.

Avec cette transition, les décisions d’investissement seront de plus en plus axées sur le long terme. Les risques et les opportunités dont nous venons de parler renforceront cette évolution, tout comme les réglementations et les politiques publiques, notamment celles qui sont liées à la stabilité financière, à l’énergie, à la sécurité alimentaire et, bien sûr, au changement climatique et à la diversité.

Comment réagir? Peut-on encore espérer?

Bien sûr! L’expérience du vaccin contre le covid, mis au point et distribué très rapidement, montre que, quand ils mutualisent leurs ressources au service d’un objectif commun, les êtres humains peuvent faire mentir n’importe quel modèle de prévision. Citons aussi des succès comme le projet de régénération du plateau de Loess, en Chine, ou les efforts de l’Instituto Terra pour la reforestation au Brésil.

Pour accentuer la transition vers une économie plus résiliente et plus durable, il faut faire coïncider investissements privés, action publique (financière et politique) et efforts entrepris par les particuliers et les entreprises. En outre, la transition ne servira pas seulement à protéger l’humanité: elle permettra de mieux vivre qu’aujourd’hui, parce qu’elle se traduira par une amélioration qui ira de la nourriture qu’on mange à l’air qu’on respire, en passant par la façon dont on se déplace.

[1] Stockholm Resilience Centre
[2] The New York Times, May 2024

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